Installation de la fibre optique : les opérateurs télécoms mis sous pression par les députés

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par Maxence Kagni, le Vendredi 26 mai 2023 à 15:02, mis à jour le Lundi 29 mai 2023 à 16:33

Auditionnés cette semaine à l'Assemblée, les représentants d'Orange, Free, SFR et Bouygues Telecom ont évoqué les "problèmes de qualité constatés dans le déploiement de la fibre" devant la commission des affaires économiques. Les députés ont menacé de légiférer si la qualité du service ne s'améliorait pas fortement.

Une véritable remontée de bretelles. Mercredi 24 mai, les représentants des principaux opérateurs télécoms ont participé à une table-ronde organisée par la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale sur "la fin du réseau cuivre et les problèmes de qualité constatés dans le déploiement de la fibre". Malgré un début plutôt policé, les députés ont peu à peu exprimé leur mécontentement et même leur colère, menaçant à plusieurs reprises de changer la législation si la qualité de service ne s'améliorait pas sensiblement.

"Succès" du plan Très haut débit, selon les opérateurs

Reconnaissant volontiers certaines "difficultés" et "un nombre mineur de dysfonctionnements", les représentants d'Orange, Free, SFR et Bouygues Telecom étaient avant tout venus pour vanter leurs résultats. "Il faut se satisfaire de la situation dans laquelle on est, a notamment expliqué le secrétaire général d'Orange, Nicolas Guérin. Certes, 0,1% de lignes à problèmes correspondent à des dizaines de milliers de foyers qui sont mécontents mais, globalement, regardez les chiffres aussi de ce qui a été fait."

"Nous serons au rendez-vous d'une généralisation de la fibre optique en 2025", s'est félicité Nicolas Guérin. Le vice-président du conseil d'administration d'Iliad (Free), Maxime Lombardini, et le secrétaire général d'Altice (SFR), Laurent Halimi, ont également salué le "succès" du plan Très haut débit, lancé en 2013. Son objectif était, notamment, de "doter tous les territoires d'infrastructures numériques de pointe" en 2022.

Nous avons réussi en moins de 10 ans à apporter la fibre aux Français, là où la construction d'un réseau de transport d'électricité a pris près de 50 ans. Laurent Halimi (SFR)

La sous-traitance critiquée par les députés 

La première à attaquer frontalement les représentants des entreprises de télécoms a été Sophia Chikirou (La France insoumise) : "Le réseau cuivre, voué à disparaître, n'est plus entretenu", a commencé l'élue. Plusieurs députés ont en effet dénoncé la dégradation de ce réseau historique, qui permet encore le fonctionnement jusqu'en 2030 des téléphones fixes et des abonnements internet ADSL. Résultat : "On voit des habitants privés de service pendant des mois entiers", a déploré Sophia Chikirou.

La députée de Paris a également, comme nombre de ses collègues, mis en cause la mauvaise qualité de certains raccordements à la fibre : "On a voulu aller plus vite pour moins cher, au prix de l'exclusion de milliers de concitoyens." Le recours à la sous-traitance, jugé excessif, a été critiqué par presque tous les députés présents. "La sous-traitance en cascade n'est pas une bonne chose, loin de là", a par exemple déclaré Philippe Naillet (apparenté Socialistes).

"Du haut de vos grandes fonctions, vous allez me dire que tout a été mis en œuvre pour améliorer la qualité, là aussi je souhaite témoigner que vos équipes n'y sont pas encore arrivé", a de son côté lancé Luc Lamirault (Horizons), ciblant particulièrement la "négligence" d'Orange.

Les représentants des opérateurs télécoms avaient, dès leur propos introductif, tenté de minimiser les critiques sur le sujet de la sous-traitance : "Nous avons limité très tôt le [nombre] de sous-traitance à deux rangs", a expliqué Hervé de Tournadre, le directeur des affaires règlementaires de Bouygues Telecom. Une réponse martelée à plusieurs reprises par les différents intervenants, qui ont également mis en avant les processus de "certification" de leurs entreprises sous-traitantes.

"Organisation défaillante" et "incompétence pitoyable"

"Vous ne pouvez pas dire que vous prenez vos responsabilités et que les choses sont faites, car manifestement, quotidiennement, ce n'est pas le cas", leur a répondu Antoine Armand (Renaissance). Évoquant une "organisation défaillante" et une "communication improbable", Jérôme Nury (Les Républicains) a été le plus véhément : "Aucun de vous quatre ne fait mieux que les autres", a lancé le député de l'Orne, qui a dénoncé les "rendez-vous annulés en permanence" et "l'incompétence pitoyable" des sous-traitants. Selon lui, les opérateurs sont "en train de casser" le modèle de déploiement à la française, qui "associe public et privé", au risque de "faire regretter à beaucoup de nos concitoyens le temps des PTT et de France Télécom".

Pour les commissaires présents, la question de la connexion à Internet est primordiale : "Dans ma circonscription, je suis très souvent interpellée sur le manque de débit", a expliqué Virginie Duby-Muller (Les Républicains), évoquant des "zones" qui "se sentent complètement délaissées".  "Nos maires sont confrontés quotidiennement aux récriminations de leurs concitoyens", a indiqué Hervé de Lépinau (Rassemblement national) en se faisant le relais des élus locaux. 

Nous récupérons dans nos permanences vos clients dépités. Luc Lamirault (Horizons)

Certains élus, comme Jean-Pierre Vigier (Les Républicains) ont dénoncé des "dysfonctionnements parfois forts en zone rurale" : "A quand un réseau Bouygues Telecom correct en milieu rural ? Car depuis que l'Assemblée nationale a changé d'opérateur, pour nous c'est catastrophique", a-t-il témoigné. Sophia Chikirou (LFI) a, par ailleurs, reproché aux opérateurs télécoms d'avoir "augmenté le prix des abonnements" de "20% en un an" et d'avoir "augmenté [leurs] marges". Une mise en cause rejetée par Nicolas Guérin (Orange), qui a évoqué un secteur qui est "déflationniste en période d'inflation". Une réponse qui n'a pas convaincu l'élue insoumise : "Je vous dis que vous mentez en disant cela, Monsieur", a-t-elle rétorqué.

Les opérateurs sous la menace d'une loi 

Les députés ont exigé un sursaut du secteur : "Il est temps que vous preniez vos responsabilités sans quoi nous serions obligés, bien sûr, d'user de notre prérogative législative", a mis en garde Philippe Naillet (apparenté Socialistes). "Je suis de ceux qui pensent que nous devrons légiférer pour une meilleure organisation à moins d'un rebond de votre part", a renchéri Luc Lamirault (Horizons), tandis que Vincent Rolland (Les Républicains) a demandé un "remède de cheval".

Je n'ai pas de question, mais une injonction : réagissez, bougez-vous, et revoyez vos méthodes, il y a urgence. Jérôme Nury (Les Républicains)

Auditionnée, elle aussi, la présidente de la Fédération française des télécoms (FFTélécoms) Liza Bellulo a estimé qu'il ne "faut pas changer un plan qui marche avec 14.000 raccordements par jour". Pour elle, pas question de modifier l'organisation actuelle : "Ça ne fonctionnera pas, ça doublerait mécaniquement les délais de raccordement." En outre, plusieurs représentants des entreprises de télécoms ont expliqué qu'une modification du cadre légal ne changerait rien à l'identité des techniciens de terrain, à savoir les sous-traitants.

Liza Bellulo, qui est également la secrétaire générale de Bouygues Telecom, a mis en avant l'installation dans les "points de mutualisation" (nommés aussi "plats de nouilles") de QR codes qui permettront d'identifier chaque intervenant. Des formations seront proposées aux techniciens défaillants et les certifications des entreprises sous-traitantes pourront leur être retirées. Par ailleurs, "un plan de reprise" des points de mutualisation est en cours, a expliqué la présidente de la FFTélécoms.

L'avalanche de griefs a semblé surprendre Maxime Lombardini (Free) : "Il y a un côté un petit peu déprimant pour nous d'entendre vos critiques, même si on reconnaît l'existence de problèmes." Vantant le "très fort engagement des opérateurs français", le représentant du groupe Iliad a évoqué l'endettement "lourd" des entreprises de télécoms : "On a dû vendre des actifs (...) pour financer ce déploiement qui va très très loin dans le territoire."

Maxime Lombardini, qui ne nie pas l'existence des problèmes évoqués par les députés, affirme toutefois que les entreprises de télécoms "ne mesurent pas cela dans les taux de satisfaction." Ainsi, le "taux de désabonnement" est sur la fibre "plus faible que sur le cuivre" (ligne fixe, ADSL) et "il diminue avec le temps". Selon lui, SFR, Orange, Bouygues Telecom et Free ont, de toute façon, eux aussi intérêt à améliorer la qualité de service, car "perdre un abonné, c'est un crève-coeur" et ajoutant comme argument : "Ça coûte cher de conquérir un abonné."