Energies renouvelables : imbroglio sur le rétablissement de la "raison impérative d'intérêt public majeur"

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par Léonard DERMARKARIAN, le Mercredi 14 décembre 2022 à 17:47, mis à jour le Vendredi 6 janvier 2023 à 15:06

Alors que l'Assemblée nationale poursuit l'examen du projet de loi "relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables", le vote d'un amendement de deux députées Renaissance par lequel l'article 4 du texte a été rétabli, après avoir été supprimé en commission, a semé la confusion et tendu le débat. Cet article vise à reconnaître la "raison impérative d'intérêt public majeur" (RIIPM) pour les projets d'énergies renouvelables, afin de réduire les risques de contentieux juridiques. Mais l'adoption de cet amendement a parisité les discussions avec la gauche, dont le gouvernement espère le soutien sur ce texte. 

Au-delà des différences et des divergences connues sur ce texte, c'est le premier véritable accroc depuis le début de l'examen du projet de loi "relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables" dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale. Mercredi 14 décembre, les députés ont voté, par un amendement de deux élues Renaissance, en faveur du rétablissement de l'article 4 du projet de loi, supprimé en commission. Cet article, jugé par le député Jérôme Nury (Les Républicains) comme le "coeur nucléaire" du projet de loi, prévoit une reconnaissance de "raison impérative d'intérêt public majeur" (RIIPM), pour les projets d'énergies renouvelables (EnR). Objectif : limiter la possibilité de recours juridiques.

Si cet article figurait initialement dans le projet de loi du gouvernement, sa situation a évolué au gré de son examen par le Parlement : partiellement supprimé, puis rétabli par les sénateurs, avant d'être supprimé en commission par les députés via un amendement transpartisan porté par Pierre Cazeneuve, l'un des rapporteurs du projet de loi. Une suppression qui était alors justifiée en raison d'une atteinte disproportionnée à des textes ayant force de loi ou valeur constitutionnelle (Charte de l'environnement de 2004, loi de 2016 relative à la transition énergétique).

Après une demande de report d'examen par le gouvernement ces derniers jours, l'article 4 a été examiné cet après-midi. Plusieurs amendements de rétablissement ont été défendus par les députés de la majorité, tandis que les groupes de la Nupes ont défendu des amendements visant à limiter le recours à la RIIPM ou sa limitation dans le temps. Les Républicains ont, quant à eux, défendu des amendements visant à limiter la portée de la RIIPM à travers le filtre des collectivités territoriales ou de son intégration dans les documents d'urbanisme. De son côté, le Rassemblement national a indiqué durant les débats qu'il voterait contre le rétablissement de la RIIPM.

Aux yeux de la majorité, le rétablissement de cette disposition était nécessaire pour accélérer le déploiement des énergies renouvelables. La difficulté actuelle à justifier la raison impérative d'intérêt public majeur est une source de contentieux juridique pour les projets EnR, notamment quand ceux-ci concernent des projets de production énergétique de petite taille, ce qui freinerait le rattrapage du retard de la France en la matière.

Or, la gauche, écologistes en tête, ont fait de cet article une ligne rouge en raison de l'atteinte qu'il pourrait porter à la biodiversité. Pour Delphine Batho (Ecologiste), la RIIPM pose une question : celle de savoir si "tout projet, où qu’il soit implanté, non seulement d’EnR mais aussi de réseau […] est présumé par principe avoir le droit de détruire des espèces protégées. Personnellement, je réponds non à cette question". 

 

Après discussion des amendements ayant permis au rapporteur et à la ministre, prudents, de défendre l'article 4 comme une "ligne de crête" entre l'accélération "nécessaire" de la production des énergies renouvelables et l'impératif de protection de la biodiversité, la mise au vote a provoqué surprise, incompréhension et tension. La Ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, a souligné la nécessité d'adopter l'article, d'autant que le Parlement européen s'est prononcé pour l'adoption d'un dispositif similaire que la France devra prochainement transposer en droit national.

Alors qu'après des signes d'ouverture du gouvernement, les députés du groupe Ecologiste et du groupe Socialistes étaient prêts à voter l'article, sous réserve qu'un amendement de compromis déposé par le rapporteur du projet de loi soit adopté, le vote préalable d'un autre amendement, issu des rangs du groupe Renaissance, rétablissant le fameux article 4, a eu pour conséquence de faire tomber les suivants, dont celui du rapporteur. 
 

L'amendement (disponible ici), défendu par les députées Marjolaine Meynier-Millefert et Danielle Brullebois, vise au rétablissement de l'article 4 sans restituer les compromis négociés entre le gouvernement, la majorité et les groupes Ecologiste, Socialistes et La France insoumise, qui semblaient prêt à un accord qui aurait exclu le gaz et l'hydrogène bas carbone des projets relevant de la raison impérative d'intérêt public majeur. Plusieurs députées de gauche ont alors pris la parole pour faire part de leur étonnement quant à l'adoption de cet amendement, sans prise en compte de leurs préconisations, en dépit de l'avis du rapporteur. "On a l'impression d'avoir été pris pour des imbéciles", a fustigé le député La France insoumise Maxime Laisney indiquant que c'était  "le vote final" de son groupe qui était en jeu. Clémence Guetté (LFI) a, quant à elle, regretté ce fait de séance "prétendument imprévu", qualifié de "recul majeur" dans les travaux menés depuis plusieurs semaines, à l'image d'un projet de loi "pas à la hauteur" des enjeux. "Nous voulons bien croire à une erreur", a-t-elle toutefois concédé, en appelant la majorité à vraiment "faire attention".

"L'objectif c'était de permettre le débat, pas de supprimer les échanges, c'est vraiment une incompréhension", a assuré Marjolaine Meynier-Millefert. Alors qu'à la suite de cet imbroglio, les députés entamaient l'examen des mesures en faveur de l'agrivoltaïsme, l'un des rapporteurs du texte, Eric Bothorel (Renaissance), est revenu sur le sujet, en reconnaissant une adoption qui a "manqué d'élégance". Le compromis qui était en cours de discussion avec la gauche pourrait cependant être réintégré au texte, dont l'examen en première lecture est inscrit à l'ordre du jour jusqu'à vendredi et qui fera l'objet d'un vote solennel de l'Assemblée le 10 janvier.