Commission d'enquête sur l'assassinat d'Yvan Colonna : deux députés relèvent des "défaillances graves"

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Jean-Félix Acquaviva et Laurent Marcangeli à l'Assemblée nationale, mercredi 15 mars 2023
Jean-Félix Acquaviva et Laurent Marcangeli à l'Assemblée nationale, mercredi 15 mars 2023
par Raphaël Marchal, le Mercredi 15 mars 2023 à 15:33, mis à jour le Vendredi 2 juin 2023 à 15:42

Jean-Félix Acquaviva et Laurent Marcangeli ont souligné les failles de la surveillance de Franck Elong Abé, le détenu qui a tué Yvan Colonna alors que ce dernier purgeait une peine de prison pour l'assassinat du Préfet Érignac. Lors d'un point d'étape de la commission d'enquête créée pour "faire la lumière sur les dysfonctionnements" qui ont conduit à la mort du militant indépendantiste corse, les députés ont notamment posé la question d'une volonté de "dissimulation" de l'administration sur des éléments "troublants" qui auraient précédé le meurtre d'Yvan Colonna. 

Des "éléments troublants", des "dysfonctionnements", des "questionnements"... Lors d'une conférence de presse organisée mercredi 15 mars, Jean-Félix Acquaviva (Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires) et Laurent Marcangeli (Horizons), respectivement président et rapporteur de la commission d'enquête sur l'assassinat d'Yvan Colonna, ont fait part de leur circonspection quant à la gestion, en amont comme en aval, des faits qui ont conduit à ce meurtre. 

Premier étonnement des deux élus : que Franck Elong Abé, le meurtrier présumé du militant indépendantiste corse, ait pu être maintenu en détention classique malgré son profil d'islamiste radicalisé et violent. Selon Jean-Félix Acquaviva, il est inconcevable qu'il n'ait pas été placé en quartier d'évaluation de la radicalisation (QER), d'autant plus que la commission chargée d'évaluer la dangerosité des élus avait rendu cinq avis allant dans ce sens. Le député de Haute-Corse a notamment mis en cause le rôle du parquet national antiterroriste (Pnat), qui serait, selon lui, intervenu pour empêcher ce transfert.

Qu'un homme aussi dangereux que Franck Elong Abé soit en conditions de détention normale me pose question. Laurent Marcangeli, rapporteur de la commission d'enquête sur l'assassinat d'Yvan Colonna

Le député Liot a également questionné la pertinence d'avoir confié un emploi de nettoyage, en service général, à Franck Elong Abé, du fait de son profil, ce qui lui offrait une plus grande liberté de déplacement. Ce qui a permis au détenu islamiste d'agresser Yvan Colonna, alors que ce dernier se trouvait dans la salle de sport de la maison centrale d'Arles, le 2 mars 2022. "Un détenu 'haut du spectre' n'aurait jamais dû bénéficier d'un tel emploi", a reconnu le directeur de l'inspection générale de la justice devant la commission d'enquête, selon des propos rapportés par Jean-Félix Acquaviva.

Un document lacunaire

Un autre élément troublant a été mis en lumière par les travaux de la commission. Selon les deux députés, un document d'observation de Franck Elong Abé leur a été transmis par l'administration pénitentiaire. Ce relevé, issu du logiciel Genesis utilisé par la pénitentiaire pour rapporter les faits et gestes importants des prisonniers, ne comportait plus aucune entrée sur Franck Elong Abé à compter du 29 janvier 2022, et ce jusqu'à la date du drame, contre cinq à six observations en moyenne par mois habituellement.

Or, dans un second temps, le renseignement pénitentiaire (SNRP) a transmis des éléments inquiétants à la commission : trois détenus dont Franck Elong Abé ont eu une conversation la veille du drame, l'un d'entre eux prononçant la phrase "Je vais le tuer". De même, le détenu terroriste s'est mis à vider sa cellule le 1er mars 2022. "Ces différents éléments auraient dû renforcer la surveillance de cet individu", a regretté Jean-Félix Acquaviva.

Se pose dès lors la question de l'absence de ces informations dans les documents transmis initialement par l'administration pénitentiaire. "Nous avons les plus grands doutes quant à la gestion de ces observations et quant à la possible tentative d'effacement de ces données", a indiqué solennellement le député Liot, qui estime qu'une telle tentative de "dissimulation" ferait passer l'affaire au "stade de gravité supérieure". "Et si effacement il y a eu, pourquoi ?" Et de préciser que la commission ne s'interdisait pas de lancer des procédures judiciaires afin de faire la vérité sur ce point. "Il ne faut pas laisser de place au soupçon", a complété Laurent Marcangeli.

Faire évoluer le statut de DPS

Les deux députés ont également levé le voile sur certaines de leurs préconisations qu'ils rendront dans leur futur rapport. Au-delà de la gestion des prisonniers radicalisés, qui a fait l'objet de nombreux tâtonnements de la part du ministère de la Justice depuis une dizaine d'années, ils plaident pour une évolution du statut de "détenu particulièrement signalé" (DPS), auquel était assujetti Yvan Colonna, condamné pour l'assassinat du préfet Érignac. L'indépendantiste avait demandé, sans succès, la levée de ce classement, qui implique des mesures de surveillance particulières notamment responsables de son éloignement.

Alors que ce statut est actuellement attribué par le ministre de la justice, après avis d'une commission composée de représentants de l'autorité administratives et judiciaires, Laurent Marcangeli s'est prononcé en faveur d'une judiciarisation totale de la procédure. "Il faut mettre cette décision dans les mains d'un juge. On s'évitera ainsi tout procès d'intention", a souligné le député de Corse-du-Sud et président du groupe Horizons. Auditionné la semaine dernière par la commission, l'ancien Premier ministre, Jean Castex, avait proposé la même mesure.