Bataille pour un bastion de gauche dans la 13e circonscription du Nord

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Les principaux candidats dans la 13e du Nord
Damien Lacroix (Nupes-LFI), Yohann Duval (RN) et Christine Decodts (Ensemble), les principaux candidats dans la 13e circonscription du Nord
par Raphaël Marchal, le Mardi 31 mai 2022 à 15:00, mis à jour le Mardi 31 mai 2022 à 18:24

C'est un bastion de gauche dont le député sortant, Christian Hutin ne se représente pas. Parmi les candidats sur la ligne de départ : Yohann Duval (Rassemblement national) qui espère arracher la circonscription située dans le bassin dunkerquois, Damien Lacroix (Nouvelle union populaire écologique et sociale), qui tente de garder ce territoire dans le giron de la gauche, et Christine Decodts (Ensemble !) qui ambitionne de conquérir ce siège. 

Impossible de le rater. Yohann Duval campe en travers de l'allée principale du marché central de Dunkerque, une pile de tracts à la main. L'un de ses bénévoles arbore un survêtement bleu blanc rouge, estampillé "France". Un kakémono, où il figure en photo avec Marine Le Pen, a été dressé, juste à côté de la rôtisserie. "Le problème, c'est qu'au bout d'un moment, cette odeur donne envie d'acheter du poulet", plaisante le candidat du Rassemblement national dans la 13e circonscription du Nord aux élections législatives.

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Yohann Duval en plein tractage à Dunkerque
Yohann Duval (RN) en pleine opération de tractage à Dunkerque

Une bonne humeur qui s'explique par son espoir de l'emporter sur ce territoire ouvrier, historiquement à gauche, où Marine Le Pen est arrivée en tête au premier tour (33,5 %) et au second tour (53,8 %) du scrutin présidentiel. "On va poursuivre dans la continuité", veut croire Yohann Duval, âgé de 38 ans, dynamique malgré le froid matinal qui règne sur la ville du Nord en ce mercredi 25 mai. Il ne cache pas l'objectif minimal du RN : avoir suffisamment d'élus pour constituer un groupe à l'Assemblée nationale (c'est-à-dire au moins 15 députés) et peser ainsi dans l'opposition à Emmanuel Macron. 

"Convaincre les gens d'aller voter"

Comme Marine Le Pen lors de l'élection présidentielle, le candidat met en avant les propositions du Rassemblement national sur le pouvoir d'achat, ainsi que sur la lutte contre l'immigration irrégulière et l'insécurité. Lucide, il sait que l'une des inconnues du scrutin sera la participation et la mobilisation de son électorat. "On se bat pour que les gens aillent voter", confie-t-il en tendant un tract à un passant. Les réactions des habitants oscillent entre désintérêt, froideur et enthousiasme. "On espère que ce sera vous. Les magouilles, on n'en veut plus", lance l'un d'entre eux.

On ne pourra pas espérer que les choses changent avec les mêmes personnes, les mêmes 'super cumulards'. Yohann Duval, candidat RN aux législatives dans la 13ème circonscription du Nord

Car pour faire basculer cette circonscription, Yohann Duval insiste également sur la "déception" des votants à l'égard des professionnels de la politique en général et de la classe dirigeante en particulier. L'alliance de la gauche, la Nupes (Nouvelle Union populaire écologique et sociale) ? "Ils s'unissent parce qu'ils sont en perte de vitesse. Ils se sont tous rangés derrière Jean-Luc Mélenchon mais ses ambitions seraient nocives pour la région", assure-t-il, rappelant notamment l'opposition de l'insoumis à l'égard de la centrale nucléaire de Gravelines, grande pourvoyeuse d'emplois dans la région.

Les "super cumulards"

Yohann Duval réserve ses mots les plus durs aux candidats de la majorité présidentielle. Christine Decodts et son suppléant, Patrice Vergriete, sont des "super cumulards", juge-t-il. Adjointe au maire, élue départementale et présidente de l'association "Entreprendre ensemble" pour la candidate, maire et président de la communauté urbaine de Dunkerque pour son suppléant ; autant de signes, selon lui, de la mainmise du tandem sur l'agglomération. Au point de les rapprocher de l'emblématique maire socialiste de Dunkerque pendant 25 ans, Michel Delebarre, qui a conjointement été député de la 13e du Nord, puis sénateur, tout en occupant des responsabilités nationales et locales. "Le plus grand cumulard de France", souffle le candidat RN en rajustant ses lunettes. Un cumul qui, compte tenu des nouvelles règles en la matière, ne serait cependant pas possible aujourd'hui. 

 

Tenir le bastion à gauche

La percée du Rassemblement national dans cette circonscription, en particulier dans les quartiers ouvriers, n'impressionne pas le candidat de la Nouvelle union populaire écologique et sociale, Damien Lacroix, qui juge qu'elle ne date pas d'hier. Lui continue cependant de considérer que "c'est une circonscription taillée pour l'union de la gauche". Novice en politique, âgé de 30 ans, conseiller principal d'éducation de profession, il a été choisi pour concourir sous la bannière commune de la Nupes avec l'espoir de conserver ce bastion ouvrier laissé libre par Christian Hutin, qui siégeait comme apparenté au sein du groupe Socialistes à l'Assemblée, et qui a décidé de mettre fin à sa carrière politique. Lors de l'élection présidentielle, Jean-Luc Mélenchon est arrivé en deuxième position dans cette circonscription, avec 24,6% des voix. 

Forts de leur alliance, les représentants locaux des différents partis composant la Nupes ont donné rendez-vous à la salle polyvalente des Glacis, à Dunkerque, mardi 24 mai au soir, pour leur première réunion publique de la campagne. Une cinquantaine de personnes, militants de tous âges issus des différentes forces en présence, ont fait le déplacement dans ce quartier populaire, situé à quelques encâblures de la plage de Malo-les-Bains.

"Une fierté" d'être candidat

Veste en jean, foulard noué autour du cou, Damien Lacroix fait de son inexpérience une force. "Je ne suis pas un professionnel de la politique. Ce n'est pas un problème, mais une fierté", lance-t-il en réponse aux critiques adressées par ses adversaires. Sa place n'allait pas de soi, explique-t-il. Fils d'un ouvrier et d'une aide-soignante, il se réjouit d'avoir été choisi pour porter les couleurs de la gauche. "Le mépris, il me passe au-dessus des épaules", assure-t-il à son auditoire.

Le mépris, il me passe au-dessus des épaules. Damien Lacroix, candidat Nupes aux élections législatives dans la 13e circonscription du Nord

"Les professionnels de la politique se font un malin plaisir de nous renvoyer à notre condition, comme si c'était une mauvaise chose", expose le fonctionnaire, qui ne cache pas son ambition de suivre la trace de Caroline Fiat et d'Adrien Quatennens. Deux députés de La France insoumise qui avaient hérité de surnoms peu élégants lors de leur arrivée dans l'hémicycle : "Bac -2" et "Center call". Un signe de plus que la Vème République est "à l'agonie", estime-t-il. "Nous sommes issus du peuple ; nous le représenterons."

"Pas de contre-projet face à nous"

Côté programme, le candidat de la Nupes reproche à la majorité présidentielle de vouloir poursuivre une politique qu'il qualifie de "casse sociale" et de rester dans l'inaction climatique, malgré les annonces et promesses faites par Emmanuel Macron lors de la campagne présidentielle. En matière d'environnement, Damien Lacroix dresse un bilan du précédent quinquennat en forme de réquisitoire. Il dénonce le soutien au secteur aérien malgré l'impact sur le climat, critique les milliards d'euros distribués aux entreprises du CAC 40 sans contrepartie pendant le "quoi qu'il en coûte", et estime que l'exercice de démocratie participative qu'a été la Convention citoyenne pour le climat a abouti à un échec. 

Tout le contraire, affirme-t-il, du programme de la Nupes. "On veut répondre aux préoccupations des gens", insiste Damien Lacroix. Et plus particulièrement à la baisse du pouvoir d'achat notamment provoqué par la hausse des prix de l'énergie. Au cours de la réunion, il évoque pêle-mêle le blocage des prix, la hausse du Smic à 1 500 euros nets et le droit d'avoir "une retraite digne", avant d'aborder la planification écologique, avec la promesse de rénover les 700 000 passoires thermiques et le passage à 100 % énergies renouvelables.

Une jeune alliance

Les responsables politiques locaux jouent à fond la carte de l'alliance. Outre le candidat et sa suppléante, Françoise Leclerc, sont présentes la co-secrétaire régionale d'EELV Myriam Santhune, la première adjointe PCF au maire de Grande-Synthe Nathalie Benalla, ainsi que la conseillère régionale LFI Élodie Cloez. "On a des différences, mais on a surtout plein de choses en commun. Je suis très contente qu'il y ait du sang neuf à Dunkerque", souligne Myriam Santhune.

Côté salle, la jeune alliance fait plus de méfiants. Plusieurs militants LFI s'inquiètent ouvertement de la motivation de leurs alliés communistes, socialistes et écologistes pour participer aux fastidieuses opérations de tractage et de porte-à-porte dans la circonscription, dès lors que leur candidat n'a pas été retenu pour incarner la gauche. Là encore, les représentants de la Nupes se font rassurants : l'alliance, encore impensable il y a quelques semaines, a beau être récente, la synergie sur le terrain est, selon eux, réelle.

Un paramètre extérieur inquiète davantage Damien Lacroix : l'influence qu'aura la candidature du maire de Dunkerque sur les électeurs. "La couleur locale ne tient plus, on est député de la Nation. Le bon vieux député-maire, c'est terminé", veut-il cependant croire, estimant que "le député n'est plus le VRP du local en permanence."

Un tandem local pour Emmanuel Macron

On en oublierait presque que Patrice Vergriete, particulièrement ciblé par ses adversaires, n'est pas le candidat de la majorité présidentielle, mais le suppléant de la candidate. Un suppléant qui pèse : une rumeur locale l'envoyait au sein du gouvernement d'Élisabeth Borne. C'est cependant son adjointe à la mairie, Christine Decodts, Dunkerquoise depuis toujours, qui a été investie par Ensemble ! en tant que titulaire. Un tandem qui joue donc la carte de l'implantation locale et du terrain. 

Les députés hors-sol, ça suffit ! Patrice Vergriete, candidat suppléant Ensemble aux législatives

Lors d'une opération de tractage dans le quartier du Grand Large, au nord de Dunkerque, le duo met en avant cet ancrage local. "Les députés hors-sol, ça suffit", tonne l'édile, qui veut des "élus qui connaissent la réalité du terrain" au Palais-Bourbon. Pas question, explique-t-il, de se contenter d'assurer une majorité au président réélu. Christine Decodts et Patrice Vergriete disent notamment vouloir remédier aux difficultés que connaissent les élus locaux en portant leur voix dans l'hémicycle.

Une "femme de gauche"

Sur le papier, Christine Decodts et Patrice Vergriete ne partent pas favoris, dans une circonscription où Emmanuel Macron est arrivé troisième lors du premier tour de l'élection présidentielle, avec 22,6% des voix. Ils comptent néanmoins sur leur popularité et sur leur bilan à la mairie et à la communauté urbaine pour l'emporter. "Je me bats pour le territoire", explique la candidate.

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Christine Decodts en opération porte-à-porte à Dunkerque, le 24 mai 2022
Christine Decodts en opération porte-à-porte à Dunkerque, le 24 mai 2022

Sur le terrain, l'effet Patrice Vergriete est indéniable. Les habitants du Grand Large identifient leur maire de loin, reconnaissable grâce à son double mètre et à son éloquence. Les habitants du quartier qui ouvrent leur porte, principalement des retraités en cette fin d'après-midi, lui réservent un accueil chaleureux. Enfant des Glacis, fils d'un ouvrier chaudronnier, venu de la gauche, Patrice Vergriete a mis fin au règne de Michel Delebarre en 2014 en lui prenant la mairie, avant d'être largement réélu en 2020. Il compte désormais "disposer d'un relais à Paris", afin de porter les sujets qui lui sont chers : la santé, le développement de l'emploi et, par-dessus tout, la meilleure intégration du bloc communal dans la mise en œuvre des politiques publiques.

Des engagements que porte également Christine Decodts, 56 ans et nouvelle venue en politique puisqu'elle a été élue pour la première fois, il y a deux ans, lors des municipales. Un engagement électif qu'elle a confirmé l'année suivante en se faisant élire au conseil départemental. "Nous voulons faire remonter les préoccupations des habitants", explique celle qui a longtemps travaillé dans les quartiers du bassin dunkerquois, ses éternelles sneakers aux pieds. L'élue se présente comme une "femme de gauche", et n'y voit aucune incompatibilité avec l'étiquette de la majorité présidentielle. Elle confie avoir été définitivement convaincue par le "quoi qu'il en coûte" mis en place durant la pandémie de Covid et par le plan "Un jeune une solution". Au point d'offrir à Emmanuel Macron son parrainage pour l'élection présidentielle. 

Un bilan de "transformation" comme étendard 

Les deux candidats font valoir la "transformation" qu'a connue l'agglomération dunkerquoise depuis une dizaine d'années pour convaincre les électeurs. Le Grand Large, avec ses habitations à l'architecture en gâble, est un symbole du dynamisme de Dunkerque : le quartier a été érigé en 2010 — avant l'arrivée de Patrice Vergriete à la mairie — à la place des friches occupées jadis par les Chantiers navals de France, fermés en 1989. Marquée par cette faillite et ses conséquences économiques pour le bassin, Christine Decodts a fait de la lutte contre le chômage de longue durée l'un de ses chevaux de bataille.

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Le quartier du Grand Large à Dunkerque, le 24 mai 2022
Le quartier du Grand Large à Dunkerque

Titulaire comme suppléant se félicitent des politiques de la ville et de l'agglomération en matière d'emploi et de la baisse du chômage, notamment celui des jeunes. Ils rappellent aussi l'action menée en faveur du développement des quartiers, ainsi que la mise en place d'un plan vélo et de bus gratuits en 2018, qui ont changé la manière de se déplacer. "Je ne me déplace plus qu'en bus", confie Christine Decodts en glissant un tract dans une boîte aux lettres.

D'autres aménagements sont en cours ou en projet dans le bassin dunkerquois : un complexe hôtelier de luxe, situé sur le front de mer, doit ouvrir cet automne et la pépite industrielle Verkor a prévu d'installer une usine de batteries bas-carbones destinées au marché de l'automobile en 2025. "C'est important d'être dans une dynamique de croissance", insiste Christine Decodts. "Nous devons également soutenir la reprise de l'emploi au niveau national. Contrairement à beaucoup de discours préconçus, les gens ont envie de s'en sortir", souligne-t-elle, avant de repartir, pile de tracts en mains, vers une nouvelle rangée d'immeubles.

Voici la liste complète des candidats dans la 13ème circonscription du Nord :

  • Clément Bézine (extrême gauche)
  • Christine Decodts (Ensemble !)
  • Yohann Duval (Rassemblement national)
  • Damien Lacroix (LFI-Nupes)
  • Eugénie Madelaine (Reconquête)
  • Maëva Menneboo (divers)
  • Véronique de Miribel (Les Républicains)
  • Alexis Peltier (écologistes)