Adoption en première lecture du projet de loi relatif à la crise sanitaire

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Des soignants dans un centre de vaccination (AFP)
par Maxence KagniSoizic BONVARLET, Jason Wiels, le Jeudi 22 juillet 2021 à 13:25, mis à jour le Jeudi 28 juillet 2022 à 16:51

Extension du passe sanitaire, obligation vaccinale des soignants, isolement pour toutes les personnes diagnostiquées positives au Covid-19... L'Assemblée a adopté en première lecture, vendredi 23 juillet petit matin, le projet de loi qui instaure de nouvelles mesures visant à faire reculer le virus.

Les débats auront duré jusqu'au bout de la nuit. Un peu avant 6 heures, les députés ont adopté, ce vendredi 23 juillet, le projet de loi relatif à la crise sanitaire, afin qu'il puisse être examiné le jour-même au Sénat. Retour sur une deuxième journée de séance à l'Assemblée âprement discutée.

Un passe qui a du mal à passer

Jeudi matin, l'opposition a longuement tenté de limiter les effets du passe sanitaire. "Nous savons qu'en extérieur la transmission du virus est moins importante", a ainsi déclaré Véronique Louwagie (Les Républicains), qui a tenté d'exclure les activités de plein air de la mise en oeuvre du passe. D'autres membres de son groupe ont pris la parole, Philippe Gosselin dénonçant un "passeport du quotidien" tandis qu'Isabelle Valentin a fait état de tensions sur le terrain à cause de cette mesure.

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Par la suite, de nombreux députés, de gauche comme de droite, ont essayé de supprimer l'obligation du passe sanitaire pour les terrasses des bars et restaurants. Toujours sans succès. 

Le ministre des Solidarités et de la Santé Olivier Véran leur a répondu longuement, expliquant que la prédominance du variant Delta changeait la donne : "Une étude publiée ce matin dans la revue internationale Nature atteste d'une contagiosité extrêmement accrue en toutes circonstances avec une charge virale augmentée de 10 puissance 3." Si bien que selon lui, il est désormais possible de se contaminer à la terrasse d'un café.

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La "fermeture" des cafés et restaurants serait la seule alternative crédible au passe sanitaire, a prévenu Olivier Véran.

Autre point soulevé par les députés : la question du contrôle du passe sanitaire. Jean Castex a déjà annoncé, mercredi sur TF1, que les restaurateurs ne devront pas contrôler l'identité de leurs clients. Ils se contenteront de vérifier que ceux-ci détiennent bien un passe. Cette garantie ne rassure pas Julien Aubert (Les Républicains) : "Ce n'est pas aux individus de contrôler leurs voisins et de faire le travail de l'État." L'élu communiste Sébastien Jumel a pour sa part dénoncé "les incohérences" du texte en prenant l'exemple d'événements en plein air qui disposent de nombreuses entrées et sorties, comme les fêtes foraines.

Les députés ont adopté un amendement du député "MoDem" Christophe Blanchet, qui vise à "responsabiliser les clients". Cet amendement prévoit des sanctions contre les personnes qui ne rempliraient pas le cahier de rappel papier ou numérique dans les établissements recevant du public. Seulement, sa rédaction pourrait aussi avoir pour conséquence de renforcer drastiquement la sanction prévue en cas de non-présentation du passe sanitaire : elle passerait alors à un an de prison et 15.000 euros d'amende. Le gouvernement, qui s'était prononcé contre cet amendement, a finalement demandé un second vote, au bout de la nuit, et obtenant cette fois son rejet.

Lire aussi : Imbroglio autour d'une amende de 15 000 euros pour défaut de passe sanitaire

La droite a également tenté de permettre aux primo-vaccinés en juillet d'obtenir un passe sanitaire jusqu'au 30 août : "Il faut encourager à la vaccination", a plaidé le président du groupe Les Républicains Damien Abad.

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Le gouvernement n'a par ailleurs pas souhaité exclure les mineurs du champ du passe sanitaire : "Vous le savez, les enfants sont des vecteurs du Covid", a expliqué le secrétaire d'Etat chargé de l'Enfance et des Familles Adrien Taquet

Par ailleurs, la majorité a étendu l'usage du document aux séminaires d'entreprise.

Le passe un temps supprimé dans les hôpitaux... puis rétabli

Contre l'avis du gouvernement, des amendements LR et LFI ont exempté les hôpitaux et les établissements de santé du passe sanitaire. Ce dernier devait s'appliquer aux visiteurs et aux malades qui ont un soin programmé, mais pas aux urgences médicales. "Il est absolument nécessaire de garantir un droit à la visite quel que soit le statut vaccinal du visiteur", a plaidé Philippe Benassaya (LR).

Un vote surprise, qui a pu être atteint grâce à une mobilisation de toutes les oppositions, malgré le vote contre de la majorité. Mais la joie pour les députés qui avaient voté pour a été de courte durée. En toute fin d'examen du texte, le gouvernement a sollicité une seconde délibération afin de revenir à la version initiale du projet de loi. Il a eu gain de cause, malgré les protestations des oppositions, qui ont dénoncé la méthode. Les personnes venant pour des visites ou des soins programmés devront donc bien présenter un passe. En cas d'urgence il ne sera en revanche pas exigible.

Un autre amendement a suscité aussi beaucoup de débats : la proposition transpartisane d'appliquer le passe aux assemblées démocratiques (Parlement, conseils régionaux, départementaux...) n'a cependant pas été retenue. Le gouvernement y était opposé à cause d'un "risque d'inconstitutionnalité élevé", car les élus sont en principe libres d'aller délibérer et voter dans leurs hémicycles. 

Dans les transports, bientôt "la chienlit" ?

Les députés ont assiégé le banc des ministres pour obtenir des précisions sur l'application du passe aux voyages longue distance, en particulier dans les trains, alors que les TGV pourraient être visés par la loi, mais pas les TER ou les métros.

"Pourquoi le virus circule dans les TGV et pas dans les TER ?", a interrogé François Ruffin (La France insoumise). "On a plus de chance d'attraper le Covid dans le métro que dans le TGV", a objecté de son côté Paul Molac (Libertés et Territoires). Olivier Véran a répondu que tous les détails seraient pris par décret, avec des dérogations prises selon la longueur des trajets.

Une réponse loin de satisfaire le chef de file de La France insoumise : "C'est la pagaille, la chienlit, le désordre, l'épuisement de tout le monde dans des contrôles qui n'ont aucun sens !", s'est agacé Jean-Luc Mélenchon.

Le droit du travail sacrifié sur l’autel sanitaire ?

Un amendement gouvernemental a particulièrement cristallisé l’indignation de députés de tous les bancs. Ce dernier permet la suspension du contrat de travail de tout salarié d'un établissement recevant du public (ERP), assujetti à la présentation d’un passe sanitaire, et qui refuserait de s’y soumettre. Il prévoit également la possibilité pour l’employeur d’engager une procédure de licenciement à l’issue d’un délai de deux mois.

"Un employeur n’a pas à connaître l’état de santé de ses salariés", s'est indigné Sébastien Jumel (Gauche démocrate et républicaine), qui a considéré que la disposition gouvernementale revenait à mettre en place le fait que l'"obligation vaccinale devienne un motif de licenciement". "Je suis choqué de la facilité avec laquelle vous retouchez le code du travail en permanence à chaque occasion, et là il y a une nouvelle occasion de le faire, vous vous engouffrez dans la brèche", a renchéri Pierre Dharréville. De l'autre côté de l'hémicycle, Patrick Hetzel (Les Républicains) a parlé d'un "état d’esprit d’une très grande brutalité".

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Répondant à l"avalanche de critiques, Olivier Véran a argué que ledit amendement prévoyait par ailleurs les conditions d'un dialogue entre l'employeur et l'employé, la possibilité de poser des congés le temps d’effectuer les démarches nécessaires, et d’examiner les possibilités de reclassement du salarié sur un autre poste.

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Plusieurs amendements ont par ailleurs souhaité abaisser les sanctions prévues vis-à-vis des restaurateurs et exploitants pour défaut de contrôle du passe sanitaire. Cette nouvelle infraction est pénalisée dans le projet de loi par une contravention de cinquième classe, d’un montant de 1500 euros.

Un amendement du groupe ‘Socialistes et apparentés' a été adopté contre l’avis du gouvernement et de la commission, mais avec le renfort de la droite de l’hémicycle. Il supprime la sanction prévoyant cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende pour l’utilisation frauduleuse d’un passe sanitaire.

Un autre amendement du groupe ‘Socialistes et apparentés’, porté par Lamia El Aaraje, a été adopté après avoir reçu un avis favorable du ministre Olivier Véran, contrairement à celui de la commission. Concernant les mineurs non accompagnés, cet amendement prévoit que les départements puissent prendre en charge leur vaccination, lors de l’évaluation de leur minorité ou lorsqu’ils bénéficient de l’aide sociale à l’enfance.

Un isolement sous contrôle

De son côté Marine Le Pen (non inscrite) a souhaité graver dans le marbre la gratuité des tests. Comme Nicolas Dupont-Aignan (non inscrit), la présidente du Rassemblement national s’est également érigée contre l’isolement obligatoire de dix jours, soumis à contrôle policier, des personnes diagnostiquées positives, considérant que la mesure risquerait de dissuader les éventuels porteurs de se faire tester. "Non, ce n'est pas banal, aujourd'hui dans notre droit, de soumettre à des contrôles de police, la situation des malades. Ne confondez pas la lutte contre la maladie, et la lutte contre les malades", a pour sa part déclaré Aurélien Pradié (Les Républicains).

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L'obligation vaccinale des soignants, des effets pervers ?

Au moment d'aborder l'article 5, qui introduit la vaccination obligatoire des personnels sanitaires et du secteur médico-social, de nombreux députés ont évoqué le risque d'une pénurie de ces personnels dès la mise en place de cette contrainte vaccinale. "On veut tous que tous les soignants soient vaccinés", a ainsi clamé Caroline Fiat (La France insoumise), "mais là ce n'est pas le bon moment, pas avant une quatrième vague". Stella Dupont (La République en marche), est allée dans le même sens et a souhaité décaler l’échéance de présentation d’un parcours de vaccination complet pour les soignants au 1er octobre 2021, en lieu et place de la date du 15 septembre inscrite dans le projet de loi, Julien Aubert (Les Républicains), a souhaité quant à lui pousser jusqu'au 15 janvier 2022. Ces amendements n'ont pas été adoptés.

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Le groupe "Socialistes et apparentés" a profité de l'examen de l'article pour présenter un amendement prescrivant la vaccination obligatoire pour toute la population âgée de plus de 18 ans. Une proposition basée sur un principe de non-discrimination, et, selon les termes de l'amendement, pour éviter "que la moitié de la population contrôle l’autre moitié de la population".

Olivier Véran a par ailleurs présenté un amendement gouvernemental, reprenant dans les mêmes termes, en les appliquant aux soignants, les aménagements des contrats de travail des salariés, qui avaient été discutés quelques heures auparavant pour les salariés des ERP.