18e circonscription de Paris : Bournazel / Caron, ancrage local contre programme national

Actualité
Image
LCP
par Maxence Kagni, le Lundi 16 mai 2022 à 14:00, mis à jour le Mardi 17 mai 2022 à 15:13

Dans la 18e circonscription de Paris, le député sortant Pierre-Yves Bournazel (Ensemble!) joue la carte de l'implantation locale face au médiatique Aymeric Caron (Nupes), qui espère faire entrer l'antispécisme au Palais Bourbon. Le candidat des Républicains, Rudolph Granier, entend dénoncer la "connivence" entre la majorité sortante et Anne Hidalgo.

"C'est un très bon député, même si la rue Germaine-Pilon n'est pas assez nettoyée." Ce jeudi matin, Pierre-Yves Bournazel déambule dans les rues pentues et ensoleillées de Montmartre. Député de la 18e circonscription de Paris depuis 2017, tracts en main, il fait face à Michelle, 75 ans, qui vit dans ce quartier aisé depuis plus de cinquante ans. Avec un mot affectueux, il explique à la riveraine que la voirie ne fait pas partie de ses compétences, mais de celles de la mairie. L'élégante Michelle s'éloigne, satisfaite d'avoir pu échanger avec son élu. "Je suis un député de proximité", commente Pierre-Yves Bournazel. Le représentant d'Ensemble! (l'alliance entre le parti présidentiel La République en marche, la formation d’Édouard Philippe Horizons, et le Modem de François Bayrou) joue à fond la carte de l'ancrage local : "Je suis d'abord un habitant de la circonscription."

Pierre-Yves Bournazel mise sur son ancrage local

Pierre-Yves Bournazel propose même de créer une "assemblée locale citoyenne" : "Je souhaite que des citoyens volontaires, que l'on tirera au sort pour avoir une répartition géographique, sociale, socio-professionnelle précise, puissent m'accompagner tout au long de mon mandat pour donner leur avis, pour construire des propositions, que je porterai à l'Assemblée nationale."

A deux pas des Deux-Moulins, le célèbre café d'Amélie Poulain, Pierre-Yves Bournazel serre des mains, répond à une commerçante qui demande l'installation de panneaux pour diriger une partie des touristes vers sa boutique de la rue d'Orsel, regrette avec une habitante la présence de joueurs de bonneteau près du métro Anvers. "Il y a beaucoup de sujets différents, il faut avoir une vraie connaissance de la circonscription, qui a une vraie diversité sociale et générationnelle... Ca ne s'improvise pas." La 18e circonscription de Paris regroupe Montmartre, avec sa population aisée, et le quartier populaire de la porte de Clignancourt.

Image
Pierre-Yves Bournazel au contact des habitants de la 18e circonscription de Paris
Pierre-Yves Bournazel, le 12 mai 2022, rue Lepic (Paris 18e).

Même s'il s'en défend, le député sortant se présente comme un anti-Aymeric Caron : l'ancien chroniqueur de télévision, qui a fondé en 2018 la Révolution écologique pour le vivant (Rev), se présente face à lui, avec le soutien de la Nouvelle alliance populaire écologique et sociale (Nupes). "Je suis un homme profondément modéré, je n'ai pas raison contre tout le monde." Son ancrage local revendiqué est aussi une pique lancée à son challenger antispéciste, parachuté dans la circonscription par La France insoumise. Face à une riveraine qui insiste sur l'urgence climatique, Pierre-Yves Bournazel explique qu'il est 5e du classement des députés de l'association de protection animale L214 et ajoute qu'il est "le seul député parisien à avoir voté en 2018 pour l'interdiction du glyphosate". Une façon de ne pas laisser le sujet de l'écologie à son adversaire : la 18e circonscription est un ancien bastion socialiste et Jean-Luc Mélenchon y a obtenu 36% des suffrages au premier tour de l'élection présidentielle (contre 33,4% pour Emmanuel Macron).

Face aux électeurs, Pierre-Yves Bournazel défend son bilan de député : il a par exemple voté le reste à charge zéro pour les soins optiques ou dentaires et a "fait entrer entrer au Parlement une proposition de loi sur la lutte contre la contrefaçon qui a été votée à l'unanimité de tous les groupes". Autre succès, selon lui, de son mandat : le vote d'un amendement qui permet de "réquisitionner les biens des marchands de sommeil définitivement condamnés".

Rudolph Granier en campagne contre Anne Hidalgo

"Qu'a-t-il fait pendant cinq ans ? Il n'a rien fait." Sans surprise, l'action de Pierre-Yves Bournazel ne convainc pas du tout Rudolph Granier, qui se lance dans la course sous l'étiquette Les Républicains. "Je suis un homme de conviction, avec une colonne vertébrale, je pense qu'avec une idéologie on peut changer les choses", commente ce conseiller de Paris qui aura "43 ans au lendemain du second tour des législatives", c'est-à-dire le 20 juin prochain. Tête de liste dans le 18e arrondissement lors des élections municipales, il avait fini en 2e position lors du second tour avec 21,25%. Loin derrière le candidat socialiste (Eric Lejoindre, 62,06%) mais devant... Pierre-Yves Bournazel, alors sous la bannière du parti présidentiel (16,68%). 

Le candidat des Républicains, soutenu par Rachida Dati, n'a pas de mots assez durs pour le député et la majorité sortante, "composée de godillots qui n'avaient aucune initiative législative". "La fidélité en politique est une valeur qui se perd", affirme également Rudolph Granier, qui moque la trajectoire politique de son rival. En 2017, Pierre-Yves Bournazel l'avait en effet emporté en se présentant sous l'étiquette "Les Républicains-UDI", tout en revendiquant sur son affiche le soutien de "La majorité présidentielle avec Emmanuel Macron et Edouard Philippe".

Rudolph Granier voit sa propre candidature comme une façon de "mettre un coup d'arrêt à la connivence entre le gouvernement et la majorité parisienne" de gauche. "Pour faire changer les choses à Paris, cela doit passer par la loi", explique l'élu, qui critique des mesures votées ces cinq dernières années et dont, selon lui, la maire de Paris Anne Hidalgo a ensuite bénéficié pour mener sa politique. Il prend l'exemple des "haltes soins addictions", des salles de consommation de drogue "à moindre risque", dont l'expérimentation a été prolongée lors du dernier projet de loi de financement de la Sécurité sociale

Le candidat des Républicains critique aussi la candidature d'Aymeric Caron, qui représente selon lui "la majorité" socialiste à la mairie de Paris, même si l'ancien chroniqueur télé n'est pas élu dans la capitale et n'appartient pas à une formation politique réunie autour d'Anne Hidalgo. "Elle valide sa candidature", répond le conseiller de Paris, convaincu que l'absence de dissidence socialiste dans la circonscription vaut soutien. "Aymeric Caron représente tout ce qu'il y a de plus détestable à gauche, avec sa culture pseudo-universaliste, son écologie pour les riches", ajoute le conseiller de Paris, qui met en cause un "candidat issu de la télé-réalité" qui n'a pas "connaissance des problèmes" des habitants du 18e arrondissement.

S'il est élu, Rudolph Granier promet d'agir avant tout pour les Parisiens. Pour lui, les priorités sont la sécurité, notamment à cause des "gros problèmes de crack dans tout le nord-est" de la capitale, la santé car "beaucoup trop d'arrondissements de Paris sont dans une situation de désert médical", et l'urbanisme. Concernant ce dernier sujet, il souhaite "modifier la loi SRU pour casser les ghettos urbains".

Aymeric Caron porte un programme national

"La question de l'implantation, c'est ce qu'on met en avant quand on n'a pas d'arguments sur le fond." Aymeric Caron répond aux critiques sur son absence d'ancrage local : "Ce n'est pas parce qu'on habite un endroit qu'on est forcément connecté aux problèmes que vivent les Français." Le candidat de la Nupes porte un "programme national" mais promet de venir dans la circonscription "toutes les semaines", s'il est élu, et de tenir une permanence.

Ce jeudi soir, Aymeric Caron répond à nos questions à La Recyclerie, bistrot branché niché dans le quartier de la porte de Clignancourt. Il lance sa campagne en présence de la députée La France insoumise de Paris, Danièle Obono, et du député LFI de Seine-Saint-Denis, Alexis Corbière. L'ambiance est festive, la comédienne Nawel Dombrowsky chante sur scène "Les petits papiers" de Régine. Aymeric Caron signe quelques-uns de ses livres tendus par des militants, discute avec des habitants qui lui répondent verre en main.

Tout le monde n'est pas là pour le candidat de la Nupes : "Je ne savais même pas qu'il était là", explique Amaury, 28 ans, pichet de bière à la main. "Je suis à la recherche de mes potes", avoue le jeune homme, simplement venu se détendre en fin de journée. Lara, elle, est venue écouter le candidat. "J'ai voté Mélenchon au premier tour et au second j'ai pleuré", commente-t-elle. La jeune femme de 24 ans affirme que l'alliance à gauche a fait "naître un espoir", avant de stopper son explication, troublée : "Ah, voilà des stars." Deux membres du groupe Shaka Ponk, Samaha Sam et Frah, sont présents dans la salle. Ils sont venus soutenir Aymeric Caron, qu'ils "connaissent bien" et qui a le mérite d'être "totalement habité par la cause du vivant".

Après les discours de soutien de Danièle Obono, d'Alexis Corbière, mais aussi de Léa Balage, l'ex-candidate d'Europe Ecologie-Les Verts qui s'est désistée au nom de l'union à gauche, Aymeric Caron monte sur scène. Offensif, il met en cause Emmanuel Macron qui "n'a rien fait" pour l'écologie : "La planète va plus mal depuis son élection !" L'ancien chroniqueur télé évoque le "jour du dépassement qui a eu lieu il y a quelques jours en France" : "Qu'est-ce qui a été fait pendant cinq ans pour empêcher ça ? Rien !"

Image
Aymeric Caron, le 12 mai 2022, à La Recyclerie (Paris 18e).
Aymeric Caron, le 12 mai 2022, à La Recyclerie (Paris 18e).

La candidat de la Nupes revendique une forme de "radicalité" face au "capitalisme le plus dur" et dénonce l'action du candidat sortant, "un représentant de La République en marche, qui a voté toutes les lois liberticides, de casse sociale". Fermeture des "fermes-usines," blocage des prix, Smic à 1400 euros : Aymeric Caron déroule le programme de la Nouvelle union populaire. Il fait siffler la réforme des retraites promise par le chef de l'Etat et plaide pour l'interdiction de la chasse le week-end et pendant les vacances.

Il ne dit pas un mot des enjeux locaux, mais pour lui l'essentiel n'est pas là. Le candidat évoque l'antispécisme, les droits des animaux, la réduction de la consommation de viande... "Ces idées, on va les amener à l'Assemblée nationale !", lance-t-il à l'assistance. Et permettre, espère-t-il, à la gauche d'être majoritaire dans l'hémicycle du Palais Bourbon ? Ses soutiens y croient et scandent : "On va gagner, on va gagner !"

Les candidats sur la circonscription : 

  • Annie Boubault (Lutte ouvrière)
  • Pierre-Yves Bournazel (Ensemble!)
  • Aymeric Caron (Nouvelle union populaire écologique et sociale)
  • Julia Carrasco (Rassemblement national)
  • Rudolph Granier (Les Républicains)
  • Axelle Le Gal de Kerangal (Reconquête!)