Souveraineté agricole : l'Assemblée nationale érige l'agriculture et la pêche en "intérêt général majeur"

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Nicole Le Peih, le 15 mai 2024 dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale.
Nicole Le Peih, le 15 mai 2024 dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale. LCP
par Maxence KagniLéonard DERMARKARIAN, le Vendredi 17 mai 2024 à 07:47, mis à jour le Vendredi 17 mai 2024 à 13:50

Les députés ont adopté jeudi 16 mai, après plus d'une journée de débats, une réécriture de l'article 1er du projet de loi d'orientation agricole, qui qualifie l'agriculture et la pêche "d'intérêt général majeur" en tant qu'elles "garantissent la souveraineté agricole et alimentaire de la Nation, qui contribue à la défense de ses intérêts fondamentaux". L'objectif est notamment de donner plus de poids aux projets agricoles en cas de contentieux. La portée réelle de la mesure est cependant contestée par les oppositions, en particulier de gauche.

Au terme d'une longue journée de débats dans l'hémicycle, l'Assemblée nationale a adoptée, jeudi 16 mai, une version réécrite de l'article 1er du projet de loi d’orientation "pour la souveraineté alimentaire et agricole et le renouvellement des générations en agriculture". Celui-ci déclare "d'intérêt général majeur" la "protection, la valorisation et le développement de l'agriculture et de la pêche", une demande des Jeunes agriculteurs, qui y voient une façon "d'aligner l'agriculture au même rang que d'autres activités", comme la protection de l'environnement. "Sur le plan juridique, ça positionne l'agriculture en équilibre avec l'environnement", avait approuvé le président de la FNSEA, Arnaud Rousseau, lors de l'annonce de cette mesure par Emmanuel Macron au Salon de l'agriculture. L'objectif de la disposition est notamment de donner plus de poids aux projets agricoles lors de contentieux devant le juge administratif.

Programmation pluriannuelle

Après plus d'une journée de débats qui avaient commencé la veille sur le sujet, les députés ont adopté un amendement d'Henri Alfandari (Horizons) remaniant l'article 1er tel que rédigé initialement par le gouvernement. L'article 1er, qui fixe les grandes orientations politiques visant à "assurer la souveraineté alimentaire et agricole de la France", était à "réécrire" à l'issue de l'examen du texte en commission des affaires économiques, de l'avis même de certains membres de la majorité, comme Thierry Benoit (Horizons). "Tout ça est parti d'un article extrêmement mal écrit au terme de dix-huit mois de consultations", a dénoncé mercredi soir Grégoire de Fournas (Rassemblement national).

Le nouvel article inscrit le principe d'une "programmation pluriannuelle de l’agriculture" tous les dix ans, qui devra permettre "une production capable de couvrir nos consommations annuelles", a expliqué Henri Alfandari. Il fixe aussi les "sept grandes directions vers lesquelles doivent tendre les politiques publiques permettant d'assurer la souveraineté agricole", a expliqué mardi soir la rapporteure de cette partie du texte, Nicole Le Peih (Renaissance). Parmi elles figurent notamment la protection de "la surface agricole utile, via une régulation du foncier", la "protection et l'amélioration" de la "rémunération des exploitants" ou encore "l'anticipation et l'adaptation" aux conséquences du changement climatique. L'article évoque aussi la "politique d’installation et de transmission en agriculture", ainsi que "l’accès au foncier agricole dans des conditions transparentes et équitables". Une souveraineté agricole que l'article 1er fait notamment reposer sur la capacité de la France à "produire, transformer et distribuer" les produits nécessaires à "une alimentation suffisante, saine [et] sûre"

Cette réécriture a été réalisée à l'issue de "discussions auxquelles de nombreux groupes ont participé" avant son examen en séance publique, a déclaré mercredi Nicole Le Peih. Une déclaration aussitôt contestée par Guillaume Garot (Socialistes), qui a regretté l'absence de "reprise" des propositions de son groupe.

"Deux modèles différents"

Les députés Les Républicains ont "pu faire adopter un certain nombre de points" dans l'article 1er nouvelle version a, quant à lui, assumé Julien Dive. Le député de l'Aisne a expliqué que l'examen du projet de loi revenait à "choisir entre deux visions de l'agriculture", entre "ceux qui prônent la décroissance" et ceux qui voient "les agriculteurs comme des chefs d'entreprise".

Sa vision a été reprise mercredi par le rapporteur général, Pascal Lavergne (Renaissance), qui a interpellé les élus de gauche : "La majorité préfère le modèle agricole que nous défendons de façon commune avec Les Républicains, même si nous avons un certain nombre de différences, au modèle que vous défendez [et] qui ressemble un petit peu à un tracteur usagé."

La France insoumise a, elle aussi, reconnu que des "modèles différents" se faisaient face : "Ce n'est pas une loi vide, c'est une vraie loi d'orientation, qui est la vôtre, celle de l'agrobusiness", a déclaré Aurélie Trouvé. Selon Manon Meunier, la réécriture a pour objectif de "faire plaisir aux 50 nuances de droite". "On vous demande des moyens concrets", a ajouté l'élue de la Haute-Vienne.

"La vision de l'agriculture de la majorité, c'est la décroissance agricole, avec le Pacte vert [européen]", a, au contraire, jugé Grégoire de Fournas (RN). Et le député de Gironde de dénoncer "les traités de libre-échange, la concurrence déloyale, anarchique", ainsi que "le refus de revenir sur les transpositions" et "le dévoiement de l'agriculture dans je ne sais quelle production énergétique foireuse".

Une efficacité contestée

Des prises de position "binaires, simplistes" selon Dominique Potier (Socialistes). "Essayons de hisser le débat à la hauteur des questions". Le député de Meurthe-et-Moselle a aussi et surtout mis en cause l'efficacité de l'article 1er, "qui n'a aucune portée normative", ainsi que la notion d'"intérêt général majeur", un "objet juridique non identifié qui crée le fantasme d'une remise en cause de la Charte de l'environnement" et donne, selon lui, "l'illusion au monde paysan qu'on a répondu de façon démagogique à toutes ses attentes d'être au-dessus des normes du droit". 

"La loi ne peut remettre en cause les principes de la Charte de l'environnement, qui est inscrite dans la Constitution, ni le droit de l'Union européenne", a souligné Delphine Batho (Ecologiste), voyant dans la notion d'"intérêt général majeur" une "machine à fabriquer du contentieux supplémentaire en pagaille". Des critiques réaffirmées par les oppositions de gauche peu avant le vote sur les sous-amendements, puis sur l'amendement de réécriture de l'article 1er, finalement adopté peu après minuit.

Sur 565 sous-amendements à l'amendement de réécriture dit "Alfandari", 21 avaient reçu un avis favorable du gouvernement et de la rapporteure Nicole Le Peih (Renaissance). Au total, 25 sous-amendements ont été votés. Leur adoption enrichit l'article 1er en mentionnant la filière agroécologique, ainsi que la nécessité de privilégier l'approvisionnement national, l'accompagnement des agriculteurs face au changement climatique, ou encore le renforcement de la coopération internationale dans le domaine agricole.

Les députés poursuivent l'examen du projet de loi ce vendredi 17 mai. Le texte est également inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale la semaine prochaine.